Rencontre informelle JETAA : Regards japonais sur le « Dit du Genji »

    Nous étions ce samedi 2 mars 2024 aux rencontres « Regards japonais sur le Dit du Genji » organisées au musée Guimet, où nous avons assisté au dialogue entre KAKUTA Mitsuyo et YAMAMOTO Junko.

    Autrice de romans à succès tels que Celle de l’autre rive et La Cigale du huitième jour, KAKUTA Mitsuyo a récemment publié au Japon une version modernisée du Dit du Genji, œuvre incontournable de la poétesse du 11e siècle Murasaki Shikibu. Elle était interrogée par YAMAMOTO Junko, professeure à l’Université des Sciences avancées de Kyoto et chercheuse en littérature de l’époque Heian (794-1185).

Rouleau tissé du Dit du Genji par YAMAGUCHI Itaro (1901-2007)
 

Les défis d’une réécriture moderne

    Mme KAKUTA confie que ce n’est pas elle qui a choisi de réécrire le Dit du Genji de son propre chef. Elle n’a pu refuser la proposition de son éditeur, à qui l’écrivain IKEZAWA Natsuki l’avait recommandée pour cette mission. Ce qui devait être un projet de trois ans lui a finalement pris cinq années, avec des journées de travail pouvant débuter à 7h00 pour finir à 23h00 !

    Il n’était pas toujours aisé de se mettre dans la peau de personnages évoluant dans un contexte culturel vieux de près de mille ans. Les nombreux poèmes insérés dans le récit ont également été un défi pour l’adaptation.

    Si la tâche était ardue, elle avait heureusement des aspects positifs, dont le plaisir de traduire une écriture qui gagne en maturité au cours des chapitres. Mme YAMAMOTO commente que le Genji en langue contemporaine de Mme KAKUTA, allégé des formules de politesse cérémonieuses, se lit très facilement.


Le brillant Genji - Estampe de YASHIMA Gakutei (1786-1868)


Voix de femmes

    On sait peu de choses sur Murasaki Shikibu, la créatrice originelle du Genji, si ce n’est qu’elle a connu le deuil très tôt : perte de sa mère, sa sœur, son amie proche, puis de son époux. Mme YAMAMOTO suppose qu’elle a trouvé une échappatoire à son affliction dans l’univers raffiné du prince Genji et de ses favorites.

    Alors qu’elle était originaire des rangs inférieurs de la noblesse, les talents littéraires de Murasaki Shikibu lui valurent le patronage de FUJIWARA no Michinaga, l’homme fort de la cour. À l’époque, la stratégie des familles influentes était d’investir dans l’éducation des filles dans l’espoir de les marier à l’empereur et assurer la régence de l’héritier du trône. Michinaga plaça donc la brillante Murasaki au service de sa fille Shoshi, future impératrice.

    La poétesse fut ainsi témoin des souffrances vécues par les femmes de la cour jusque dans les plus hautes sphères de l’aristocratie. Il a souvent été suggéré que la fin du Genji, aux tonalités plus sombres, était de la main d’un auteur différent, mais pour Mmes KAKUTA et YAMAMOTO, l’évolution de l’écriture concorderait avec l’acquisition par Murasaki d’une certaine liberté d’expression. La fin ouverte du roman présente une héroïne tiraillée entre deux prétendants et une vie de nonne, et semble demander s’il n’existe pas une autre voie pour les femmes.

 

Asaki yume mishi, adaptation manga du Dit du Genji par YAMATO Waki 

A chaque époque son Genji

    Le Dit du Genji s’est rapidement imposé comme un classique dans l’éducation des femmes de la cour de Heian. Lorsque les guerriers se sont emparés du pouvoir à partir de l’époque Kamakura, ils ont eu à cœur d’asseoir leur légitimité en reprenant les codes des aristocrates, dont la culture du Genji.

    Plus tard, à l’ère Showa, alors que la mode était au masculin viril, on s’amusait des aventures insolites d’un irrésistible séducteur. Avec l’émergence du mouvement #MeToo au Japon, l’intérêt s’est alors porté sur les points de vue féminins. « Je suis certaine qu’on en aura encore une lecture différente dans dix ans ! » conclut KAKUTA Mitsuyo.

 

L’exposition « À la cour du Prince Genji - 1000 ans d’imaginaire japonais » est visible jusqu’au 25 mars 2024 au musée Guimet.

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